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Jésus du FC Nazareth

– Allez les enfants, on s’applique sur le contrôle et la passe ! Au football, ce sont les deux choses les plus importantes ! Le reste c’est du blablabla de journalistes !
Comme tous les mercredis de l’année, excepté pendant les vacances scolaires, j’entrainais les jeunes du club de foot de ma ville, située dans la banlieue de Paris, en Seine-Saint-Denis : dans le neuf-trois, comme on dit chez nous et comme on a raison de dire ! Pourquoi doit-on dire quatre vingt treize, quatre fois vingt plus treize, alors que la bonne dénomination est nonante trois ! Au lieu de suivre celui qui avait imposé cette façon de dire et qui visiblement, pour son époque, n’était pas un cador en calcul, les Belges avaient été plus intelligents, nos petits jeunes de banlieue s’étaient réapproprié la chose et j’en étais plutôt fier !
Ceux-ci étaient dans la catégorie U11, anciennement les poussins et donc pour la plupart avaient un âge compris entre neuf et onze ans : les moins de onze ans plus précisément ! On s’entraînait une fois par semaine et le samedi matin on participait à un mini championnat de huit équipes sans classement, un critérium qu’ils disaient !
Ce samedi-là, on se déplaçait en bus et c’est lorsqu’on est passé devant une église que Bouba, un petit d’origine sénégalaise a posé cette question qui m’a complètement surpris :
– C’est qui le mec qui est sur la croix ?
Quelques joueurs qui connaissaient la réponse se sont mis à rire, alors que moi j’étais complètement effaré !
– Wesh Bouba, t’es sérieux ? T’as jamais entendu parler de Jésus ou quoi ?
– Si, je le connais, c’est le père de Diègo, même qu’il construit des maisons, avait-il répondu sans hésiter ! C’est un prénom portos, non ?
J’ai mis un peu de temps pour reprendre mon souffle tant la réponse m’avait époustouflé ! Du coup, je n’ai pas osé insister sur la question, d’une part pour ne pas l’enfoncer un peu plus et d’autre part, pour ne pas risquer d’avoir d’autres réponses farfelues de ses partenaires de jeu. Je me suis donc lancé dans des explications sur le fils de dieu :
– Jésus, c’est un joueur de l’ancien temps qu’on a appelé le fils de dieu ! C’est normal car à cette époque, on n’avait jamais vu un tel phénomène ! On l’appelait aussi Jésunino, ou Cristo, celui qui est capable de transformer n’importe quel ballon en but, l’alchimiste de la balle, d’la balle !!
– Qu’est-ce que tu racontes, m’a interpellé Founé le petit malien d’origine soninké, petit mais vif et très technique ! J’ai jamais entendu parler de lui !
– Et alors ? Ce n’est pas parce que tu ne le connais pas qu’il n’existe pas ! Est-ce que vous connaissez un joueur brésilien dont le nom est Léonidas, ai-je alors demandé, à toute cette assistance assise dans le bus !
Personne ne le connaissait, bien-sûr et de ce fait j’ai poursuivi ma démonstration simpliste car à cet instant je me suis aperçu que toute cette jeunesse se tenait tranquille, contrairement à l’habitude où il fallait sans arrêt les recadrer. Cela me permettait de les garder frais pour le match qui allait se dérouler plus tard !
– Léonidas, qu’on surnommait le diamant noir et qui a inventé la bicyclette, a créé une entreprise de chocolat après sa carrière, qui est devenue mondialement connue grâce au président du Standard de Liège qui a racheté cette boite, lorsque ce joueur est venu jouer en Belgique !
Mehdi, l’avant-centre d’origine algérienne de notre équipe n’a pas pu s’empêcher d’intervenir :
– Je ne connais pas ce joueur et je ne suis jamais parti en Belgique, mais c’est vrai que les chocolats Léonidas, y sont trop bons !
– Alors vous voyez que je ne dis pas de bêtises, on n’est pas à Cambrai, ai-je poursuivi en profitant de l’appel d’air qu’avait provoqué mon attaquant de pointe ! Pour revenir à notre mouton, même si c’est pas l’Aïd ou la Tabaski, comme on dit chez toi au Sénégal, Bouba, Jésunino a été le plus grand joueur de tous les temps, bien avant le roi Pelé, le gamin en or Maradona ou Zorro, notre Zidane! A son époque, on l’a appelé le messie !!
Là, c’est Vejko, prononcé Velko, mon défenseur serbe qui a parlé car enfin il commençait à s’y retrouver :
– Monsieur coach, il était de la même famille que Lionel Messi alors ?
Les choses allaient petit à petit en s’embrouillant, mais comme les joueurs étaient demandeurs et que cela me permettait de les garder au calme, je ne me suis pas privé pour poursuivre dans cette veine historique revisitée ! Du révisionnisme, en quelque sorte !
– Oui, maintenant on peut le dire ! Les progrès de la science ont été tels, ces dernières années, que des tests ADN ont été réalisés et qu’ils ont fourni la preuve que Lionel est le nouveau Messie ! On a comparé les cellules retrouvées sur la tunique que Jésunino portait lors de son dernier match qui avait été un calvaire et qui est conservée à Argenteuil, avec celle du maillot de Léo, en finale de la champions league contre Manchester !! Les tests ont été positifs, pour jouer aussi bien au football, cela ne peut être qu’héréditaire !!
Je les ai laissés respire puis j’ai repris:
– Le même objectif, une mission divine, le ballon d’or, genre le saint-graal des Monty Pyton, le roi Arthur en culotte courte au milieu de sa formidable formation, les Chevaliers de la Table Ronde, qui parmi les premiers ont pratiqué le foot total, à l’instar, plus tard, des Hollandais de L’Ajax! Mais ça, c’est une autre histoire !!
Bouba dont une des qualités sur le terrain était de ne jamais lâcher le morceau, est revenu à la charge :
– Mais pourquoi, il est sur une croix avec les bras écartés, dans son drôle de slip, il a demandé en se marrant?
Tous les autres se sont mis à rire bruyamment car il est vrai que son accoutrement était particulier ! Je me suis tracassé pendant trente secondes en attendant que le silence revienne et là j’ai improvisé, en utilisant tous les stratagèmes footballistiques que je connaissais, c’est-à-dire, le slalom, le tirage de maillots et la mauvaise foi :
– Déjà, s’il se tient sur sa croix, c’est parce que lors de son dernier match officiel, il a eu des problèmes avec un arbitre italien, monsieur Ponce Pilatti et que du coup, il a été suspendu à vie par la fédération ! Quant à sa tenue, c’est le short réglementaire de l’époque, tous ses co-équipiers avaient le même équipement !!
– Mais pourquoi il a été suspendu à vie, a repris Bouba, insatiable sur le sujet ? Il a du faire des grosses bêtises pour obtenir une aussi grosse punition ?
– Mais pourquoi pourquoi, Bouba ?
Quoi répondre devant une telle candeur et devant tous ces visages aux yeux arrondis par l’attente et la curiosité. Effectivement le sujet abordé de cette manière, les intéressait fortement et j’étais le premier surpris de les voir ainsi, calmes et attentifs, avec cette attitude complètement différente de celle qu’ils adoptaient normalement !
Mickael, le deuxième éducateur qui nous accompagnait ce jour-là, m’a fait un clin d’œil de soutien et j’ai pu noter que lui aussi était en attente de la réponse qui allait me sortir de ce guêpier ! J’ai alors enchainé rapidement pour ne pas laisser les enfants réfléchir trop longtemps car je sentais bien qu’ils avaient encore une foule de questions à me poser ! Fallait que je sois logique et donc j’ai décidé de résumer cette histoire footballo-biblique !
– On va en revenir au commencement, cela sera plus facile pour vous de comprendre l’histoire de ce joueur hors norme et comme cela, vous me laissez d’abord terminer et après vous m’interrogerez s’il y a des détails particuliers à approfondir, surtout si on a le temps car dans une heure on arrive à destination et donc il faudra qu’on commence à rentrer dans notre match! On est d’accord, ai-je poursuivi pendant que mon cerveau mettait au point cette nouvelle fiction ?
Tous les jeunes ont acquiescé, de même que Mickael qui rigolait en douce ! J’ai commencé à meubler :
– Au commencement était le début, il n’y avait rien, ouallou ! Le bon dieu, comme il était très doué, en six jours, il a fait le monde avec tout le confort moderne, l’eau, l’air, le gaz et l’électricité, tout quoi ! Le septième jour, il s’est reposé car il avait bien bossé, mais en début d’après-midi, étant seul et s’ennuyant, il a inventé le ballon, juste pour le plaisir !
Devant leurs regards éberlués, j’ai poursuivi :
– Maintenant qu’on sait d’où l’on vient, qu’on a les fondations solides, les fondamentaux, on peut construire la maison ! Une bonne équipe, c’est comme un équipage sur un bateau : si Mohammed tombe, et ben, c’est pas Jean-Marie qui l’a poussé, c’est qu’il s’est crouté tout seul, et bien, c’est ça une équipe !
Après cet apartheid, ou plutôt aparté, j’ai recentré le débat sur la première starlette de notre sport collectif :
– Toute cette histoire commence un vingt-cinq décembre, le jour de Noël, car c’est le jour de la nativité donc le jour de naissance de Jésus ! Il est né dans une étable à Bethléem au milieu des animaux ! Etant enfant, il a passé ses journées à la crèche et c’est là qu’il a appris à taper dans un ballon : toute la journée, il dribblait les animaux, l’âne, le bœuf, les moutons et les agneaux ! Il a peaufiné son style de jeu !!
– Comme « petit scarabée » dans le temple Shaolin a précisé Mickael qui voulait apporter sa contribution à la compréhension !
– C’est aussi en jouant dans cette ferme des animaux et en côtoyant tous ces quatre pattes, qu’il s’est forgé ses convictions et sa bonne vision du milieu ambiant : le football allait être le sport des bourrins, le passe-temps de la masse, un jeu simple avec un minimum de règles genre tu ne toucheras point de la main, une occupation ludique permettant de laisser du temps de cerveau humain disponible à l’achat de produits dérivés !
Je l’ai pensé mais je ne l’ai pas dit, ne voulant pas détruire tout de suite leurs rêves et leurs espoirs.
– Son papa s’appelait Joseph ou Youss, il était charpentier de métier et sinon il jouait dans les buts, gardien du football club de Nazareth, il gardait les bois du club d’ailleurs, comme on disait à l’époque! C’était un bon goal ! Sa maman s’appelait Marie Myriam…
– Elle était pas chanteuse, a demandé finement Mickael ?
J’ai évité le tacle de mon collègue d’une pichenette puis j’ai prolongé :
– Et elle, comme une majorité de femmes, elle s’en fichait du football ! Pourtant quand elle a été enceinte, il y a Gaby, celui s’occupant de la communication du club, qui lui a annoncé que le petit qu’elle portait serait une star du foot ! Dieu sait qu’il s’y connaissait dans ce domaine, Djibril!
– Comment il pouvait le savoir m’a alors demandé Mickael pour me narguer, en souriant de toutes ses dents ?
– Peut-être en consultant les étoiles, ai-je essayé sans en être convaincu ! Et j’ai surfé sur la vague en poursuivant ainsi : c’est en détectant les étoiles que trois amis de Jérusalem, qui avaient monté leur entreprise dans le cinéma, ont vu le ballon dans le ciel et ont su que c’était le signe ! Les rois de l’image, ça leur est resté, les Rois Images ! L’internet explosait à ce moment, ils se sont spécialisés dans les écrans de fumée, un concept qu’ils ont vendu aux indiens d’Amérique et les SMS Tam Tam qu’ils ont bien exporté en Afrique ! Ils étaient pleins aux as, ces trois-là, un bon investissement n’était pas pour leur déplaire !
Petit travelling arrière, un râteau pour ce remettre dans le bon sens et poursuite lumineuse :
– Ils ont essayé de recruter le petit, sans l’avoir vu jouer ! Tous les trois, le président, le secrétaire et le trésorier sont venus offrir des cadeaux dans l’étable où il est né ! Dès qu’ils ont vu le môme, ils l’ont encensé c’est-à-dire qu’ils ont fait des commentaires élogieux sur le futur prodige, puis ils ont fourni de la myrrhe, un anti-inflammatoire pour toutes les blessures à venir et enfin de l’or pour payer le futur transfert !
– Alors, il est parti jouer tout de suite à Jérusalem, s’est exclamé Founé ?
– Non, son père qui connaissait le milieu du football, a préféré l’envoyer au centre de formation en Egypte pour s’aguerrir dans un premier temps car il savait qu’au Maccabi Jérusalem, il y avait des gens dangereux et jaloux de son fils, entre autre le propriétaire du club, un certain Hérode !
A force d’insister, les joueurs commençaient à se lasser et alors je leur ai proposé d’interrompre le récit afin de préparer au mieux notre match. On était presque arrivé au stade où devait avoir lieu la rencontre. Bouba s’est tout de même fendu d’une dernière requête :
– Tu pourras nous raconter la suite au retour ? Moi, je l’aime bien cette histoire ! Peut-être que le nouveau grand joueur que tout le monde attend, c’est moi !
J’ai souri et j’ai promis de poursuivre lors du retour mais à une seule condition :
– Oui Bouba le nouveau messie, mais uniquement si vous me faites un bon match ! Je veux bien vous raconter comment il a été suspendu, Jésunino ! Et quand je dis un bon match, ce qui m’importe c’est que vous donniez tout ce que vous avez ! Gagner ou perdre, ce n’est pas important à votre âge! Pour moi, le principal, c’est que vous finissiez le match sans regret, c’est pour ça que je vous demande d’y aller avec toute votre énergie et bien-sûr on n’oublie pas les bases: on respecte ses partenaires, ses adversaires, l’arbitre et le public ! C’est le meilleur moyen de ne pas se faire surprendre et suspendre !!
J’étais assez content de moi car je n’avais pas oublié le côté éducatif de la chose et d’ailleurs Mickael est venu m’en toucher deux mots de côté:
– Je ne sais pas comment tu fais, mais tu arrives toujours à retomber sur tes pattes ! Je te félicite car avec cette histoire, ce n’est pas évident de t’en sortir !
– Moi, ce qui m’épate surtout c’est que parmi tous ces joueurs, pas un ne connaisse réellement l’histoire de Jésus ? C’est quand même des choses qui ont modelé notre société actuelle et ils ne connaissent pas le cadre et la structure de leur petit monde !
– Oui, tu as raison, c’est quand même incroyable que tu puisses leur faire croire des choses aussi grosses a dit Mickael ! Mais bon, je t’avoue que j’ai écouté ton histoire avec plaisir et que, la vue des petits qui étaient attentifs, m’a vraiment surpris et épaté!
En rentrant dans les vestiaires, il s’est permis d’ajouter de façon ironique :
– Vivement la fin du match qu’on puisse écouter la suite de cette fabuleuse histoire !
Et en se retournant vers les joueurs en train de se changer, il a ajouté :
– Moi aussi, j’ai envie de savoir ce qu’est devenue cette étoile du foot, alors jouez vite et le match se terminera plus rapidement!!
– Pour l’instant, concentrez-vous sur votre match et si vous me faites plaisir, je vous promets de vous raconter la suite ! Woulla, sur le coran de la Mecque !!
Ce jour-là, les gamins ont fait un match terrible, jamais ils n’avaient joué aussi bien, le ballon circulait en une touche de balle, des une-deux tentés et parfois réussi et au final trois pions au fond des filets adverses. Toute l’énergie, qu’ils n’avaient pas dépensée inutilement dans le bus, s’était retrouvée sur le terrain : les adversaires n’y avaient vu que du feu ! Bouba avait fait trembler les filets par deux fois et avait ainsi mérité une suite à mon histoire ! C’est d’ailleurs la première chose qu’il avait demandé après les bruits de joie et les cris de guerre, à la fin de la partie !
Pour ma part, je n’avais pas eu le temps d’y penser car pendant la rencontre, j’avais eu la tête entièrement prise par le coaching ; j’ai mis à profit le temps qu’ils prenaient pour se changer, à y réfléchir. Je me suis mis à l’écart et comme Mickael avait fini de remplir les feuilles de match, il est venu me rejoindre :
– Quel match, ils nous ont fait aujourd’hui ! Ils m’ont fait plaisir à voir et c’est là que je vois que le travail finit par payer, ce dont j’ai douté les semaines précédentes !
– Je t’avoue que moi aussi, en acquiesçant! Mais je m’aperçois qu’il y a une chose qu’on oublie et qu’on devrait mettre plus en avant, c’est la concentration d’avant-match, et même à leur âge ! Tu vois, aujourd’hui, ils n’ont pas eu le temps de stresser avec la fiction que je leur ai racontée et je me demande dans quelle mesure, cela n’a pas été bénéfique !
– Il faudra voir pour les prochains matchs, a remarqué mon partenaire !
Puis il a ajouté en se foutant de ma poire :
– Va falloir que tu en inventes des histoires pour les tenir ! Déjà, j’attends avec impatience la suite de ton histoire, mais déjà, je peux te donner une idée pour la suivante !
– Ah bon, vas-y, peut-être que cela m’inspirera, j’ai rétorqué ! Je suis preneur !
– Tu n’as qu’à leur raconter la fabuleuse histoire de cette autre star du ballon acheté à prix d’or par les Qataris et qui s’appelait Mahomet du La Mecque United !
Il est parti dans un rire bruyant et communicateur, mais après quelques instants je me suis demandé si je ne risquais pas des soucis avec le ciel ! Ou avec les supporters ? En tous cas, pas avec les dieux du ballon rond !!
– Vlà le but de Bouba !
C’était Founé, sa tête rasée de renoi avec la banane blanche en travers de la face qui s’extasiait encore sur le contrôle orienté de première classe de son copain, qui lui avait permis de se retourner et d’être directement en position de tir, ce que le frêle et rapide Bouba avait parfaitement réalisé d’une maîtresse patate, des vingt mètres, dans la lucarne droite ! Le goal était resté sans réaction, n’avait pas même esquissé un geste ! Tout y était, et quand en plus la réussite s’invite!
Dans le bus, on a récupéré une bande d’enragés, joyeux d’avoir gagné, fiers de leur patelin ! Puis ils ont retrouvé leur place et j’étais loin de penser qu’ils allaient encore me solliciter : comme eux, j’avais joué mon match de coach, gueulant, calmant, sifflant et gesticulant, du physique, du technique, du tactique et du psychique, toute la panoplie des hics !! Pourtant, ils sont revenus à la charge avec mon franc tireur sénégalais en pointe :
– Bon c’est quand que tu nous racontes la suite ? Parce que ton histoire du fils de dieu, des fois elle est chelou !
J’ai tout de suite surfé sur la vague, sans échauffement et j’ai saisi la balle au bond :
– Vous connaissez tous Maradona, un des plus grands joueurs de tous les temps ! Ben lui c’était pas le fils de dieu mais on l’a appelé la main de dieu ! Jésunino, lui a été le corps entier de dieu ! Un gars capable de marcher sur l’eau quand même!
– Avec un ballon, ça s’appelle du water-polo, s’invita dans la discussion Mickael !
C’est reparti de même qu’à l’aller, les enfants étrangement calmes, comme si l’adrénaline provoquée par le stress et la tension du début de match laissait doucement la place à l’endorphine produite par leur effort physique.
– Tout d’abord, il faut que je vous félicite ! Vous avez respecté les consignes et le résultat est venu, naturellement ! C’est seulement en jouant collectif qu’on peut gagner ! Vous savez, si Jésunino était si bon c’est parce qu’il jouait dans une super équipe ! Vous avez tous entendu parler des Red Devils de Manchester, les diables rouges, ou les loups de la Roma, mais les Twelve Apostles ou les douze apôtres, jamais ouï, je suppose ?
– Tu nous prends pour des poissons, s’est exclamé Medhi, qui avait quelques soucis à tenir sa bouche fermée trop longtemps, un vrai petit rebeu, quoi !
– Ouiiiiii, j’ai insisté, mais il n’a pas eu l’air de capter donc j’ai poursuivi !
– Tellement ils étaient unis, on les a appelé le groupe des douze, avec lui, Jésunino, cela faisait treize ! Onze titulaires plus deux remplaçants, et au début ça a gazé du feu de dieu ! Le collectif a permis des miracles ! C’est pour cela que j’insiste sur cet aspect : nous on pratique un sport collectif, les bonnes individualités sont les bienvenues ; mais ils doivent se mettre au service du groupe et de l’objectif !
Cette petite mise au point concernant l’importance de l’apport de chaque joueur dans la création d’une bonne équipe, me permettait aussi de remettre en place certaines petites starlettes ! Déjà à cet âge des poussins, certains mômes ont la grosse tête, souvent bien gonflée par leur famille et donc un petit retour à l’humilité n’est pas nocif, la piqure de rappel en quelque sorte ! De surcroit, la starisation à outrance de certains joueurs ne favorise pas la transmission aux enfants, des vertus propres aux sports collectifs et c’est pourquoi, j’ai fait un détour rapide sur les équipiers accompagnant le meneur du FC Nazareth :
– A cette époque du football antique, le système de jeu était simple : deux défenseurs, deux milieux de terrain et six attaquants, plus deux remplaçants, ce qui fait treize, si vous avez bien compté !
Et sautant du coq à l’âne, direct dans sa face à Bouba : sept fois sept, ça fait combien, Bouba ?
– Euh, …, quatorze, … ?
Et tous les autres, avec le ressort qui se détend d’un seul coup, de s’exploser de rire, certainement les derniers effets de l’endorphine, mais avec un déclencheur de ce niveau, cela leur a fait une remontée subite!
– T’es trop grave, mon frère ! Faut que t’apprends tes tables, qu’il a osé lui dire Medhi !
Je ne savais pas s’il fallait en rire ou en pleurer, mais moi aussi j’ai failli m’éclater de rire car c’était tellement gros que je me suis demandé s’ils ne le faisaient pas exprès aussi bien l’un que l’autre, de faire le guignol. La vue du petit black avec son air un peu honteux devant tous les ragots de ses copains, m’ont fait pencher pour le pire, Bouba était à l’ouest concernant le calcul et Mehdi, lui c’était en français ! J’ai vite détourné la conversation pour leur éviter de se faire chambrer plus longtemps et j’ai repris le récit.
– Treize joueurs ! C’était le nombre autorisé, mais après quelques années de pratique, la ligue de football a décidé de changer les choses car ses dirigeants se sont aperçus que ce numéro treize posait problème lors des réceptions d’après-match! C’était difficile de tenir à treize autour d’une table, et c’est pour cela que maintenant on a le droit à trois remplaçants, ainsi on est quatorze!
En plus le joueur qui portait ce numéro de remplaçant, c’était Judas, Judas Iscariotto, le trésorier du groupe, un honnête joueur sans plus mais qui n’était pas titulaire et qui ne supportait plus de ne pas jouer ! Lui ça a été le grain de sable dans la mécanique de cette belle équipe des apôtres !
Memet, le défenseur d’origine turc de notre équipe, a réagi avec un haut le cœur :
– Je prendrais plus jamais le maillot numéro treize ! Je comprends mieux pourquoi je joue mal, affirma-t-il avec un air mi-dégouté par le port du maillot maudit mais également mi-heureux d’avoir trouvé une excuse pour ses contrôles et ses passes manqués !
– Tu sais Memet, je l’ai coupé sèchement, même avec le numéro neuf dans le dos, tu les aurais fait les erreurs, ça c’est uniquement un problème de travail et de concentration ! Si tu veux devenir professionnel comme tu le rêves, t’as intérêt à t’y mettre sérieusement ! Le don dans n’importe quel domaine, c’est 90 pour cent de travail et entre cinq et dix pour cent de talent ! Tous ceux qui ont fait de ce sport, leur métier, c’est qu’ils l’ont réellement voulu et qu’ils ont travaillé pour atteindre cet objectif !
Le côté éducatif accompagnant cette histoire me permettait d’anticiper la suite de ces fictifs évènements. Un peu à la manière de faire respirer la musique, des pauses et des soupirs. La pause, la mi-temps, même combat et je leur ai proposé un court entracte pour me revigorer !
Depuis le retour, ils s’étaient tenus tranquilles et j’ai pensé qu’ils allaient profiter du petit intermède pour se défouler mais même pas, ils sont restés sagement assis, à attendre que je veuille bien siffler le début de la deuxième période. Je me suis installé temporairement sur le siège à côté de Mickael, qui n’a pas pu s’empêcher de commenter :
– En plus, y en a qui aime bien le treize, pour la chance, il parait le vendredi treize, c’est pas mal pour gagner !
– C’est sûr, ça peut-être un numéro fétiche comme le quatorze de Yohann Cruyff !
Le signal de la reprise fut donné par Mehdi, d’un subtil contrôle de phrase un peu loupé :
– Y avait qui dans son équipe ? Moi, c’est qu’est-ce que je dis toujours, si tu veux gagner, faut que t’as une bonne équipe !
Personne n’avait pipé mot à propos du subjonctif, comme quoi c’est subjectif, et j’ai dare-dare cité certains joueurs de ce fameux groupe des douze !
– Le premier, il faut le reconnaitre, c’est Simon, un ancien pêcheur qui n’a pas hésité à quitter sa femme pour suivre Jésunino, dans cette aventure !
– C’est qui ce bouffon, Simon, j’ai jamais entendu parler de ce joueur, monsieur coach, a déclaré sans pitié Anes le bosniaque, le meilleur pote de Velko le serbe?
J’ai poursuivi sans relever mais en relevant !
– C’est normal, il est plus connu sous le nom de Pierre ou Pete, c’était son surnom, car il était solide comme un roc ! Un libéro de légende, il a fini sa carrière à l’AS Roma, le club qu’il a fondé! C’est lui qui a popularisé le foot en Italie en créant la série A, et il a poursuivi en devenant le premier président de la fédération internationale où on l’appelait le pape ! Parce qu’il faut savoir que les Romains n’en voulaient pas de ce sport importé, au début ! Chez eux, ils possédaient leur propre jeu de balle, le calcio et donc ce sport pratiqué par ces sectes de barbares entrait en concurrence avec une de leur création! En plus, ils étaient plutôt fans de sports de combat dans l’arène, ou bien de sport auto, avec les courses de char ! D’ailleurs à ce propos, je peux vous assurer d’une chose, c’est cet amour des voitures qui a donné les Ferrari, les Lamborghini, ou les Maserati ! Vous voyez, avec mon petit air de triomphe pour ces pirouettes athlétiques, tout se rejoint !!
Ils ne comprenaient pas tous les raccourcis historiques dont je faisais mention, mais les noms de ces prestigieuses marques italiennes, ça leur parlait, une couleur rouge, un vrombissement, il y avait de quoi palper, sentir une odeur… Une de ces belles machines que montent les stars du ballon rond, ça les inspirait, ils s’y voyaient nettement bien en photo, chevauchant un de ces beaux carrosses!
– Medhi, il dit que Jésunino il avait une Porsche, c’est un mytho ! Bouba qui avait fait cette remarque ne put s’empêcher de tchiper en faisant claquer ses deux lèvres, pssst, comme pour confirmer son verdict.
– Je crois plutôt qu’ils se déplaçaient à pied ou à dos d’ânes, ils ne vivaient pas dans du coton, en ces temps-là !
– C’est clair, leurs shorts c’est pas du coton, a osé dire Founé de sa petite voix, on dirait presque des peaux de bêtes !
J’ai repris la main assez rapidement pour ne pas laisser les gamins, s’égarer dans les méandres de l’histoire. Je n’avais certes pas envie d’avoir à répondre à d’éventuelles questions concernant la ligue de football préhistorique à l’époque où le football africain était le meilleur !! Du temps des Lucy, Toumaï, et autre Abel …!!
– En tous cas, ce Pierre, il a été le capitaine par sa présence dans le jeu, c’était la clé de voute de cette équipe de rêve !
– Il avait un brassard en tant que capitaine demanda Memet, préoccupé qu’il était par le capitanat et même qu’il avait déjà le brassard dans son sac, qu’il le portait souvent à l’entraînement, la petite touche supplémentaire à son costume de footballeur!
– Non c’était le leader sur le terrain mais dans le team, c’était son frère André dit Dédé, qui portait le brassard : un bout de chiffon noué autour du bras avec un gros x marqué dessus ! C’était son signe, sa marque de fabrique et c’est devenu la croix de Saint-André comme sur le drapeau de l’Ecosse ! Plus récemment, Lacoste a fait la même chose avec son crocodile en passant du tennis au tee-shirt, du marketing en sorte !
Cela les a rassurés d’entendre parler du petit croco sur les polos, un bon logo et bingo !
– C’était un bon joueur surtout au niveau mental, cet André. C’est lui réellement le premier à avoir signé dans le club du messie et il lui a présenté son frangin !! Il jouait au milieu et souvent c’était lui l’intermédiaire avec les arbitres : un jour quand Jésunino a distribué des pains à qui mieux-mieux ou la fois où des grecs sont venus pour le voir jouer ! Un vrai diplomate, Dédé, et ça vous verrez c’est important dans notre sport ! Il n’y a que le capitaine qui peut s’adresser à l’arbitre, et ça malheureusement au foot, on ne l’a pas intégré ! Je le regrette, mais nous, les footeux, on a la langue trop musclée, on a vraiment du mal à la fermer, j’ai ajouté en les scannant d’un œil laser, de quoi leur mettre la pression pour toutes les fois où ils avaient eu du mal à se retenir !
Devant mon regard inquisiteur, Medhi, atteint d’une paranoïa innée et se sentant visé, a tenté de dévier le tir :
– J’ai rien fait, moi ! Aujourd’hui, j’ai rien dit, walla !
– Ouais, comme dab ! Medhi médit mais Medhi ne dit, bien rappé comme il faut !!
– Oui, j’ai repris, le mental c’est primordial ! Moi, je pense qu’au final c’est plus que la moitié du résultat : pour améliorer son psychique et savoir gérer la pression, il faut faire travailler les muscles du cerveau! Dommage pour ceux qui n’en ont pas, mon regard malicieux les interrogeant néanmoins sur la présence ou non de ce précieux organe!!
– Dédé, il avait tout compris et en plus il a été bien épaulé par les deux frangins, Jacques et Jean, les fistons Zébédée, Jaco l’ainé, le majeur et son reffrè Jano, oui, deux vrais lascars ! La vitesse et la tonicité dans leurs interventions leur avait valu le surnom de  fils du tonnerre ! Surgissant telle la foudre, ils s’en donnaient à cœur joie dans ce collectif du FC Nazareth !
Je n’avais pas envie de m’attarder sur la composition de l’équipe des apôtres et c’est pourquoi j’ai essayé d’accélérer car je ne connaissais pas la liste entière. En outre je pensais que cela les ennuyait. Il n’en était rien, les enfants continuant à poser des questions sur les autres compères et donc j’ai poursuivi en en citant quelques uns qui avaient un peu marqué la formation de ce moment-là !
– Y en a deux dont je me souviens, le premier il s’appelait Matthieu, Matt l’intello de la bande ! Cela se voyait à son front dégarni, les autres le vannaient sans arrêt sur sa vie d’avant, quand il travaillait au trésor public!
– Je connais sa chanson à çuilà ! Y a qu’un cheveu sur la tête à Matthieu, il est un peu connu, lui, a affirmé Sammy notre goal ! D’ailleurs certains de ses camarades avaient opiné ayant vaguement eu vent du problème capillaire de ce joueur !
– A quelle place il jouait ton Matt, m’a alors asticoté Mickael qui essayait de me faire vaciller du fil tendu sur lequel je marchais ?
J’ai repris au vol, une demi-volée plutôt :
– C’était l’avant-centre, le striker, le numéro neuf typique, genre Gerd Muller l’avant-centre allemand, petit, râblé et des grosses cuisses, le finisseur, le pointeur, celui qui fait fructifier les dividendes du travail collectif ! Il notait toutes ses impressions dans son carnet, des chiffres, des systèmes de jeu, un théoricien du foot galiléen ! Il a pesé de tout son poids dans cette dream team !
Son association avec Jésunino, le numéro dix, était parfaite : les deux inters, sûrs de leurs forces, généreux dans l’effort ! Ca tournait super et puis leur entente avec Thomas le milieu de terrain s’améliorait au fur et à mesure de la compétition !
– Comme Thomas, le frère de Matisse qui joue au Paris FC, demanda Sammy !
– Le même nom, mais tout le monde l’appelait Didyme, le jumeau car il abattait le boulot de deux joueurs ! Un athlète racé, sobre dans ses actions mais avec un grand défaut : souvent, la pression le faisait douter ! Dès qu’il pénétrait sur le terrain, il se posait des questions ! Pour être sûr d’avoir gagné, il fallait absolument qu’il touche la coupe à la fin, tant qu’il ne l’avait pas vue, il n’y croyait pas ! C’était là son seul souci, sinon il a pris une grande part dans la réussite de cette aventure !
– C’est en doutant qu’on devient bon au mois d’août, a tenté Mickael d’un passement de mot téléphoné !
J’ai pris l’appel et j’ai prolongé :
– Comme tout le monde sait, c’est en sciant que Léonard de Vinci, et ainsi ça me permet de parler d’un obscur défenseur, rigoureux, très physique, limite il te découpait en deux, le profil Domenech, joueur et boucher ! Son nom de paix c’était la scie !
Et devant leurs regards incrédules, un petit pont, juste de quoi les enrhumer et en rythme:
– Si !Si, Simon ! Simon le zélote !

J’avais fait le tour du bloc-équipe et j’étais prêt à poursuivre avec les quelques gros coups d’éclat de ce groupe. J’allais m’infiltrer dans la brèche lorsque Bouba est revenue sur un point fondamental :
– Medhi y dit que c’est un club de bolos, le Nazareth FC, et qu’y jouent même pas la ligue des champions !
– Oh la poucave, fils de….. ta maman, a rétorqué le petit rebeu en dérapage contrôlé ! Comment ils peuvent être en coupe d’Europe, alors que Nazareth n’est pas en Europe, espèce de rmarr !
– Ca veut rien dire insista Bouba, y a bien les clubs israéliens en Champions League et pourtant Israël, c’est pas sur le continent européen ! Ah tu vois que c’est toi le mulet ! Tsssss !
Je n’avais pas très envie de rentrer dans ces considérations territoriales, la raison étant que je me voyais mal tartiner à propos de ce football qui ne se jouait pas avec les mêmes balles ! J’ai calmé le jeu et essayé de distiller des consignes de sportivité !
– Ils ne l’ont pas gagnée car la coupe d’Europe n’était pas encore inventée, tout simplement ! Ni la coupe du monde ! Par contre dans cette région des deux rivières, les luttes pour la victoire finale ont toujours été de toute beauté !
– Le match n’est pas terminé je crois, a fait remarquer Mickael ! C’est une longue partie, ils jouent toujours les prolongations !!
J’ai supposé qu’il m’enjoignait à poursuivre mon récit pour connaître les péripéties de la ligue galiléenne et tout de go, tripotage de ballon et grande transversale pour déséquilibrer le jeu:
– Ah oui, cela fut une belle page du football qui fut écrite dans ces lieux mythique ! L’épopée des apôtres! Ils auraient tous donné leur vie pour voir Jésunino avec le ballon d’or ! Tous, sauf le traitre, j’ai nommé Judas ! Ce fieffé coquin s’occupait de la trésorerie du groupe et n’a pas hésité à vendre le match à des organisateurs de paris clandestins, pour trente pièces d’argent ! Quelques instants avant l’expulsion, il embrassait encore Christo sur la main, ce vendu, le baiser de Judas !
– Moi non plus, j’en veux pas de ce numéro treize pourri, c’était un harki ce mec, ma parole !
C’était la parole de Medhi, et pas celle d’un autre, mais toute l’équipe en avait gros contre ce collabo, ce mauvais joueur qui avait jalousé son prochain, et qui avait démontré à cette occasion, toutes les faiblesses de notre sport professionnel ! Dès que l’argent s’immisce dans les rouages d’une belle mécanique, les risques d’éruptions corrosives ou bien de corruptions érosives s’invitent dans la partie !
– Moi si je l’aurai entre les mains, je l’aurai encastré contre un mur, ce bouffon, s’est énervé Velko en gonflant son physique de petit camionneur ! Il m’fout le sum ce narvallo!
– Je te comprends mais en fait après cet évènement, il est allé se faire pendre ailleurs, et s’est tiré comme un malpropre ! Il a quitté le groupe et a pris la porte! On ne l’a plus revu !
Mémet, toujours obnubilé par les considérations esthétiques de son sport, a fait une intervention remarquée avec un geste à la Ronaldino, virgule, …
– Quelles couleurs portait ce groupe apostolique ? Parce que c’est important d’être beau sur le terrain, il a rajouté, rassuré quoiqu’il en soit sur son propre compte !
– Rouge, comme les Reds de Liverpool ! Jamais tu ne marcheras seul, dans ce ton : les tuniques rouges, la même couleur que le sang ! Avec les coups et surtout avec les terrains pourris, au moins le sang ne tachait pas les maillots ! C’était pratique !
– C’est à peu près la même chose avec le vin rouge, assura Mickael ! Pour éviter les taches, il faut mettre du sel !
– Mais ça va de pair ! Un bon match, ça se fête, non ? Ca s’appelle la troisième mi-temps et il faut reconnaitre qu’ils n’étaient pas les derniers pour participer aux joyeuses festivités ! Dorénavant, ils se rencontraient tous les dimanches matins pour jouer et, boire le canon de l’amitié après les matchs était progressivement devenu un rite ! C’est ainsi qu’ils faisaient tourner la coupe en y buvant le vin!
– Maintenant on met du champagne car le vin n’est plus à la mode, et en plus ça pétille comme le coca ! C’est plus design !
Il s’y mettait progressivement mon partenaire Mickael, en faisant cette remarque judicieuse !
– L’alcool a commencé a posé des problèmes, entre eux, avec le public mais aussi avec les autres équipes ! De plus en plus souvent c’est devenu le souk sur la place du village de Capharnaüm, un vrai bordel !
– Eh coach, c’était pas interdit l’alcool dans ce pays, a interrogé Medhi ? Parce que chez moi au bled, c’est rlam, c’est péché !
– Oui, normalement j’ai répondu en pensant que c’était là peut-être, une des possibles revendications de ce collectif particulier, la possibilité de boire un petit canon avec un bout de pain parmi tous les copains!
– Chez vous en France, j’ai bien insisté sur le chez-vous, on a rajouté le fromage ! Normal !Mais pourtant un jour, venir et jouer complètement bourré sur un terrain, Jésunino a osé le faire !
– Y a eu un contrôle anti-dopage et il s’est fait chopé, a demandé Founé ?
– Non ! Simplement tout le monde s’en est aperçu, lui qui d’habitude filait sur le gazon, là il n’assurait pas une passe, il n’avançait plus, complètement à l’ouest ! En plus il a mitonné grave : il a raconté qu’il n’avait bu que de l’eau, mais déchiré comme il l’était, tout le monde s’est demandé par quel miracle le liquide avait pu virer au vin ! La veille, il s’était rendu à un mariage à Cana, il avait du picoler un max !
Pour moi-même, j’ai pensé qu’il avait certainement rencontré ce groupuscule de jeunes mystiques bien connu de ce village, les fumeurs de Cana, complètement barrés et qui avaient du le retenir très tardivement en cette soirée ! Dans leurs idées, avec leurs cheveux longs tombant sur les épaules, ils estimaient qu’on devait changer la forme du ballon, pour laisser plus de place à l’instinctif !
Dans leurs esprits embrumés par les canons qu’au lieu de boire ils fumaient, des discussions sans fin sur les possibles évolutions de notre sport : les poteaux carrés remplacés, une aberration, le ballon en forme d’ovale, …, la vidéo, toute une série de propositions plus farfelues, les unes que les autres ! De doux rêveurs !
– Quand même, la plupart du temps, il se tenait bien et il les encourageait car c’était un bon camarade ! Mais souvent, chez les très grands joueurs, des pétages de plomb surviennent ! La pression, le stress, le trop plein de rencontres, de bruit, de fatigue, l’association de ces ingrédients fait que de temps en temps, il y a une explosion !
– Comme quand Zidane a défoncé Materrazzi en finale de coupe du monde a affirmé Medhi! Fils de pu…, il s’est retenu et à repris, fils de purée, tout penaud, il a fini par fils de punaise!
En effet, c’en est la parfaite illustration mais fallait pas laisser passer l’occasion d’aller droit au but comme on dit chez lui à Marseille: au final Zizou avait oublié le collectif et avait de ce fait pénalisé tout le groupe en se faisant sortir, et la punition suprême, on a perdu. Il a perdu son duel avec l’italien, le défenseur ayant au cours de ce match, marqué le but égalisateur de la tête, fait expulser le meneur français et inscrit son tir au but ! C’est une leçon à plate couture ! L’obscur arrière transalpin a pris le pas sur le talentueux et fragile joueur tricolore !
– C’est Zidane qui a fait perdre la France en finale tenait à savoir Sammy, lui aussi kabyle comme l’autre ?
– Pour moi, oui, incontestablement mais quand même, sans lui, jamais on y serait allé en finale donc faut pas lui jeter la première pierre! Ses meilleurs amis s’en sont chargés !!
J’étais tenté de leur dire qu’il n’avait pas fini le travail, il avait fait du travail d’arabe en quelque sorte, ce qui n’est qu’à moitié étonnant au vu de ses origines, téléphone arabe ou kabyle téléphonique, tu choises ! Un grand joueur de tête, deux mémorables en finale contre le Brésil et une toute aussi remarquable, en finale contre l’Italie ! En vérité, je leur ai dit, si tu joues avec ta tête, tu seras très bon!! Un des versets de la bible du football : sur n’importe quel terrain, sers-toi de ta tête ! L’autre il l’a appliqué texto, signe que la bouille bouillait ! Je n’ai pas pu m’empêcher d’ajouter en souriant et me tournant vers Mickael :
– Un melon qui a chopé le melon ! Faut croire qu’ils étaient deux dans le même corps ! C’est la marque des joueurs de très haut niveau, le don d’ubiquité ! Jésunino possédait aussi ce talent, emmenant un adversaire dans le zig et puis se retournant vers le zag ! Allez voir ailleurs si j’y suis, ils y allèrent et en effet il y était ! Une fois ça paie et tu gagnes, la fois suivante c’est toi qui passe à la caisse et tu perds : la dure loi du football ! Une des premières règles à respecter si vous voulez pratiquer et apprécier ce sport !
– Pas mal ta vanne de l’épicier, moi j’aurai plutôt dit : un melon qui chope la pastèque, a affirmé sérieusement Mickael, c’est plus politiquement correct !
– Comprenez-moi bien les enfants, j’insiste car c’est important, sur le terrain, plus on parle et moins on joue ! C’est tellement simple que ça s’oublie facilement et croyez-moi je serais là derrière vous pour vous le rappeler !
– C’est pour ça que je veux être le capitaine, s’est proposé Mémet, comme ça je peux continuer à parler, parce que le capitaine il a le droit !
– Vas-y, fermes ta … bouche et va jouer à Galatasaray! a rétorqué Medhi, approuvé par Bouba, qui a tchipé juste après un virulent « sheh », bien fait pour toi !
J’ai contrôlé le ballon chaud sous les approbations du public, double contact, inter-exter et retournement de situation :
– C’est justement ce genre de détails qui détruit le groupe : la place du calife ! Au début pourtant, tout a évolué pour le mieux : tous les sélectionnés sont partis en stage d’une semaine sur une montagne. Ils ont été soumis à des tests concernant le repos, le sommeil, la récupération et aussi sur la diététique et la nourriture!
D’entendre parler de bouffe, l’odeur est passée de l’oreille à l’estomac en un clin d’œil dans la tête de Medhi :
– Pu….naise, je mangerais bien un sandwich turc !
Les yeux de tous les enfants se sont illuminés à cette évocation et de suite Mémet s’est réconcilié avec son camarade Medhi : quelqu’un qui appréciait autant la gastronomie ottomane ne pouvait pas être foncièrement mauvais !
Nous n’allions pas tarder à arriver et aussi fallait-il que je mette le turbo pour terminer au mieux cette aventure apostolique :
– Ils ont réalisé un gros travail physique et à la fin de cette semaine, on peut dire que l’équipe a été enfin constituée pour la compétition ! C’est lors de ce stage que s’est créée cette équipe mythique, Les Apôtres, les Rouges ?
– C’est cette préparation qui leur a permis de réaliser des matchs d’anthologie pendant les deux années qui ont suivies, c’est le temps qu’a duré cette fabuleuse histoire ! Deux ans pendant lesquels ils se sont donnés à fond lors de chaque rencontre, toujours fidèles malgré les difficultés et elles ont été nombreuses : une fois c’était le terrain, il était détrempé, à tel point que Pierre voulait remettre la partie ! Homme de peu de foi, ce jour-là, Jésunino a été au-dessus du lot, il a survolé les débats, les supporters présents ont raconté partout que Jésunino avait marché sur l’eau !
– Il devait avoir de bons crampons surtout parce que quand c’est mouillé ça glisse !
– C’est sûr Founé, quand il pleut, ça mouille, même au Mali, avait instantanément confirmé son compère Bouba ! Mais à Dugny, il a pleut beaucoup, et on a joué quand même !
– Avec son look de surfeur avant la lettre, les cheveux longs flottant au vent avec une espèce de couronne de laurier tressé, comme un serre-tête, c’était déjà un pur produit marketing sur pieds, mais alors v’là les pieds ! Les grosses marques de sport se sont battues pour l’avoir mais lui il avait horreur de tous ces marchands qui fleurissaient aux alentours du terrain! Il s’est embrouillé avec tous les sponsors et les a chassés du stade, ce temple de leur sport ! Il était chaud le jour-là !
– On dirait Cristiano Ronaldo rêva tout haut Mémet, le nouveau Cristo !
– Medhi, il dit que toutes les meufs elles lui tournaient autour à ce beau gosse ? m’a interrogé Bouba, avec en fond la tête de Medhi qui se retenait visiblement de l’insulter.
Mickael qui continuait à se marrer sous cape, n’a pas daigné intervenir pour ne pas perturber ce débat footballistique qui s’élevait un tantinet : la place de la femme dans le foot ? Vaste terrain d’investigation qu’il allait être difficile de labourer au regard des origines diverses des enfants et surtout leur âge qui me semblait limite !
– C’est l’un des sujets les plus importants pour celui qui veut devenir pro, j’ai dit gravement ! Pour l’instant le jeu que vous préférez c’est le ballon. Dans quelques années, ou quelques mois, pour Medhi, ça a l’air d’arriver en ce moment, vous aurez le choix entre le ballon et les filles ! A l’adolescence, les filles sont les plus grands dangers pour le football et pour les footballeurs !
Pour clore la démonstration destiné à protéger mes troupes d’éventuelles prédatrices, j’ai accentué le trait :
– Soit maintenant tu cours après les meufs et tu lâches le ballon, soit demain quand tu es pro, ce sont elles qui viennent tourner autour du ballon !
– Moi y a aucune chance que je quitte le foot pour une fille, dans mon école elles sont trop connes, a tenu à dire Mémet !
– Vu ta tête, je trouve qu’elles sont pas si connes et au moins elles savent regarder, a plaisanté Velko, le beau gosse yougo, ce qui a fait marrer toute l’assistance!
– Mais tu nous as toujours pas dit s’il avait une meuf Jésunino, s’est enhardi Medhi, intéressé qu’il était par les infos people ? T’as vu Gérard Piquet il est avec Shakira !
Reprenant la balle de volée, dans la lunette, la toile d’araignée dans l’angle, nettoyée, imparable, cela rajoutait de l’eau à mon moulin :
– Justement depuis qu’il est avec elle, il ne joue plus beaucoup avec le Barça ! Sinon, les meufs c’était pas trop son truc à Jésunino, lui son désir c’était d’aimer son prochain et de transmettre cet amour, son but c’était de marquer les esprits!
– Il aimait bien les mecs ou quoi, s’est horrifié Sammy ?
– Mais non, il aimait la communauté des hommes mais si c’est pour te rassurer il n’était pas homo !
Voilà c’était dit en direct au lieu d’utiliser la parabole !
– Ouf ! a soupiré Sammy, tu m’as fait peur ! C’est rlam pour un footballeur, d’être homo !!
– Donc c’est obligé qu’il avait une fille, une fixe ou une mobile, walla il avait un forfait à quelque part ! a repris Medhi sûr de son fait en ce qui concerne les portables !
Et il a insisté, portant trop le ballon, tripotant et tricotant, il a fini par dire :
– Un forfait Zahia à vingt-neuf euros le mois !
Et toute la galerie de s’exploser de rire devant le numéro solo de Medhi. Je ne sus répondre s’il y avait eu des connections avec cet autre très vieux métier du monde et c’est pourquoi j’ai sauté du coq à l’âne en mimant la feinte de corps:
– J’ai des madeleines, qui qu’en veut ? Une petite Madeleine !!
Du gâteau de Proust plein la bouche, on a trouvé l’autoroute bouché et cela nous a laissé un peu de répit pour le récit. Fallait tout de même que je hausse le tempo pour d’une part terminer cette histoire stupéfiante et en second lieu permettre aux enfants d’en tirer quelques bénéfices. Déjà il fallait que je revienne aux fondamentaux, la technique et le physique, la tactique et le psychique, les quatre piliers de cette religion du ballon !
Pour tous ces mômes qui rêvaient de devenir des professionnels, autant les instruire tout de suite que cette voie c’était un calvaire, un vrai chemin de croix ! Sans passion absolue, aucune chance de réussir, c’est un sacerdoce ! La vision de la rouge Ferrari est encore plus belle, à la sortie du sombre tunnel !
– Malgré tous les bons matchs qu’il faisait, il a toujours douté, et il s’est toujours remis en cause, avec le but dans la tête, c’est aussi ça qui a fait la force de ce Jésunino! Des fois on l’a tenté, on a essayé de le déstabiliser mais à chaque fois il a résisté et est revenu plus fort encore ! Lève-toi, marche et cours, sa devise, il l’a appliquée le premier, plus haut, plus loin, plus fort, en tenant compte du mouvement olympique !
Dans le bon mouv, j’ai profité de l’occase pour enfoncer le clou au sujet des impondérables de notre sport, genre une torsion de la cheville, une petite foulure zarma :
– Après l’été est venu l’automne, la pizza des quatre saisons, Vivaldi bien-sûr, et les premiers pépins physiques ont fait leur apparitions : les chocs et les contacts rugueux avaient laissé des traces visibles. La compétition de haut niveau avec ses très nombreuses rencontres avaient été éprouvantes pour les organismes ! Hématomes, tendinites, blessures musculaires, tout le groupe avait mangé !
– C’est vrai ça, pendant le match, y a leur défenseur, c’batard y m’a fauché, et maintenant ça me fait mal au bras!
– Comment il s’appelle l’os qu’il a failli te casser ce batard, Bouba, je lui ai demandé pour entrer dans son cinéma et aussi pour tester ses connaissances en anatomie ?
– Le tibia du bras, a-t-il tenté, comme un coup du sombréro, mais cela n’a pas marché et du coup je crois que sa pseudo-douleur est passée !
– C’est sûr que vu comme cela, même un aveugle peut voir, Bouba ! Continue ainsi, tu es sur la bonne voie ! Quant aux autres, je vous le répète, pour devenir un grand footballeur, il faut travailler à l’école : quand on aura replacé le cerveau dans la tête, là où il doit être, on pourra envisager une suite ! Je vous le dis en vérité, comme l’autre n’aurait pas mieux dit, une blessure arrive très vite et si on a misé uniquement sur le sport, le pari est osé ! Votre prof de math ou de français, ce sont vos premiers entraineurs de foot ! Et je l’ai dit !!
– Ma maîtresse elle est trop vieille pour être entraîneuse !!
– C’est vrai, j’ai affirmé à Founé en gardant tout mon sérieux, mieux vaut être jeune pour assumer un tel métier, même s’il ya de vieilles entraîneuses encore bonnes!!
Sourire en coin, Mickael a pu apprécier ma dignité et ma tonicité par rapport à l’obstacle, le petit sursaut nécessaire pour éviter le tacle de l’adversaire et ainsi poursuivre l’action :
– Malgré sa fatigue et les bobos, sa traversée du désert n’a pas duré et il est revenu encore plus fort, plus déterminé !
A cet instant je n’ai pas hésité longtemps, et le l’ai annoncé : ma foi, il a retrouvé sa foi ! J’ai poursuivi rapidement en rentrant mon ventre, pour camoufler le bide !!
– Son retour gagnant a été salué par toute la presse, les journalistes et le public ! Quand il est revenu au top, après ces galères, il a fait l’unanimité, le monde a suivi ses exploits ! C’est à partir de ce moment, que les graines du football international ont été semées !
– C’est vrai que ça donne du grain à moudre, a ironisé Mickael !
Son intervention opportuniste a rajouté de l’eau à mon moulin, et parti en une série de dribbles, slalomant et surfant, j’ai exploité le filon :
– Au final, tout ce blé amassé s’est transformé en pain, la loi du semeur ! Mais alors des fois, quels pains ! Il n’a jamais donné sa part au chien quand il s’agissait de donner ou de distribuer des pains ! Des pains à la châtaigne, sa spécialité : tiens mange, c’est mon poing ! Malheureusement, la multiplication de ces pains a créée des complications insurmontables ! Le début de la fin, l’hiver arrivant, le froid et ses désagréments.
Le bus avait quitté l’autoroute et s’infiltrait dans la circulation locale, les derniers instants de notre samedi matin ! Une voiture essayant de se garer nous a bloqués quelques minutes, et c’est ce temps additionnel qui m’a permis de clôturer cette partie historique :
– Pour conclure, je peux dire que de cette suspension à vie, il ne s’en est jamais remis! Ca l’a cloué au pilori !!
Le regard choqué et surpris de Mickael, a confirmé qu’il fallait vite en finir avec cette histoire afin d’éviter de devenir marteau !!
– Il a bien essayé de faire un come-back, mais c’était plutôt pour un match exhibition, le jour de Pâques, ai-je tenté pour me rattraper ! Il a fini sa carrière à trente-trois ans, un âge normal pour une star, Platini a stoppé à trente-deux et Zizou à trente-quatre : vous voyez, il a été dans la moyenne !

Pour clore définitivement ce chapitre, j’ai pris un ton solennel et j’ai transmis :
– Il a laissé en héritage la passion du ballon ce qui est primordial pour celui qui veut devenir pro !
La conclusion est venue du chauffeur de bus qui a klaxonné pour siffler la fin du débat, il a stoppé son véhicule devant les grilles du stade et à mon passage, a lancé en direction des enfants un retentissant encouragement :
– Hip Hip Hip, Amen !!!

Mokhtar le gaulois

L’hiver de cette année-là avait été très rude : du froid, de l’humidité et surtout un manque cruel d’ensoleillement. Dans notre banlieue, la population avait supporté ce manque de luminosité en espérant que le printemps effacerait cet état.
Il n’en était rien en ce début mai et donc je m’impatientais fortement, étant obligé de porter encore en cette saison, mon chaud et lourd manteau. J’avais envie de m’alléger et je me rêvais au bord de mer, le soleil réchauffant mon corps à moitié nu, de toute son énergie. C’est pourquoi nous avons décidé, ma compagne et moi, de nous offrir une semaine de répit, sur le pourtour méditerranéen, lequel choix fut la Turquie car cela convenait bien à notre maigre budget. Et nous voilà partis, entassés dans un avion charter en compagnie de tous ceux qui comme nous avait entrepris de fuir la morosité climatique locale.

En plus de quitter cet environnement gris et pluvieux, un autre élément avait guidé notre décision : j’avais la haine envers les gaulois ! D’une part j’avais eu plusieurs soucis avec des indigènes et d’autre part dans les médias, l’image de tous les norafs s’était largement détériorée du fait de l’actualité géopolitique et économique du moment. A tort ou à raison selon le cas : immigration, insécurité, religionisme, chômage, tout cela venait s’encastrer, et moi, Karim, petit homme rebeu avec du sang rouge, je devais supporter cet amas sans sourciller !
J’en avais plein la tête, plein le dos, plein le cul !
J’étais un voleur, puis un dealer et voilà que maintenant je portais aussi la casquette du terroriste ! Quand je ne travaillais pas, j’étais un fainéant profitant du chômage et dès lors que j’ai trouvé un emploi, je suis devenu celui qui vole le travail des autochtones ! Je venais manger le pain des Français alors que mon boulanger était Nord-Africain !!
A la limite, j’étais prêt à assumer ce statut si dans le même temps, les gaulois prenaient en charge le leur c’est-à-dire celui de pédophiles car comme on le voit et d’après certains, c’est un fait, ceux qui s’attaquent aux enfants sont en majorité des Blancs ! Voilà une des causes de mes embrouilles avec les Gaulois : je m’autorisais à penser comme eux, à faire des raccourcis malencontreux et des amalgames litigieux, et ça visiblement ils n’appréciaient pas !
Chacun sa croix, ou plutôt son croissant en l’occurrence !! C’est aussi pour cela que nous étions partis pour aller voir ailleurs si nous y étions ; et en effet on s’y est trouvé !!

Le croissant turc, sa petite étoile et les formalités d’usage nous firent réception à Antalya !

  • Super, ici, il fait beau et puis t’as vu la lumière, j’en ai mal aux yeux ! affirma Cécilia, et directe, fouinant dans son sac à la recherche de ses lunettes de soleil.
  • Oui, j’ai l’impression qu’on va bien kiffer ! Je sens déjà ma tension qui baisse, c’est bon signe !

A partir de l’aéroport, on avait une heure de bus pour rejoindre l’hôtel-club réservé, ce qui nous permit de découvrir le littoral de cette région : une succession de clubs, d’hôtels avec des styles totalement différents, c’était l’anarchie visuelle, c’était moche, en tous cas à première vue, néanmoins heureusement que le soleil était au rendez-vous !

Enfin, on pénétra dans un de ces lieux : l’hôtel était récent dans un style plus sobre que certaines constructions qu’on avait vues sur la route.

Une fois installé dans notre chambre, dans un petit bâtiment de quatre étages, Cécilia déclara :

  • T’as remarqué qu’il y a pas mal de Français qui sont arrivés en même temps que nous ? Pour toi, qui voulais oublier la France, c’est râpé !
  • On n’est pas obligé de les fréquenter, et en plus, parmi ces Français, il y a beaucoup de colorés, il me semble !

Le lendemain matin après le petit-déjeuner, on est allé à la pêche aux infos : le gardien du parking juste devant l’entrée de l’hôtel nous reçut de façon joyeuse, tout heureux qu’il était de converser avec des touristes et ce dans un anglais à la hauteur de notre pratique, simpliste mais suffisant pour se comprendre :

  • Comment fait-on pour se rendre dans la ville la plus proche, on aimerait aller au marché ? Y a-t-il des ruines ou des monuments à visiter dans le coin ?
  • Ca se voit que vous êtes Français répondit-il en se marrant ! Les Allemands restent toute la semaine au club en buvant des bières autour de la piscine et pour vous les Français, la première chose que vous pensez, c’est d’essayer de sortir d’ici, it is typically French !

Il nous donna toutes les indications nécessaires pour se rendre à la ville en hélant un « dolmouche », une petite fourgonnette-taxi très bon marché et très pratique.

  • Le gardien t’a intégré directement dans le groupe des Français, sans pitié, ironisa Cécilia !
  • Arrête de me chambrer fis-je sèchement, assez agacé à cette idée !

En fait, dans le club, les lieux étaient partagés par des Allemands, les plus nombreux, puis suivaient les Français et enfin quelques italiens,…, embryon européen… C’était donc assez simple de rester camouflé et c’est ce que l’on fit pendant le début de semaine : le repos total, manger, boire, se dorer la pilule sur les transats installés sur la plage, bouquiner, les vacances quoi, un bon déstressement ou bien déstressage comme on veut, en tous cas une vraie déstressation !! En quelques jours, les nuages de la vie quotidienne avaient filé et défilé, et la chaleur des rayons du soleil avait régénéré et rechargé nos accus.

C’est dans cet état d’esprit détendu, allongés sur nos transats sous nos parasols, qu’un couple de vacanciers nous accosta. Une femme, typiquement la parisienne, serrée du cul et imbue de sa beauté, et son homme à moitié transparent, caché dans son ombre à elle. La dame prit la parole tandis que son compagnon se tenait derrière elle :

  • Bonjour, vous êtes Français ?

Quoi, répondre à cette question ? De nationalité ? D’origine ? De cœur ? De sang ? Et donc pas vraiment de réponse d’autant plus que cette personne n’en attendait pas réellement !

  • On fait signer une pétition car on estime que la propreté n’est pas top, il y a des grosses taches sur les nappes et les couverts sont dégueu ! Ce n’est pas normal, et en plus on aimerait avoir de la considération car nous sommes des clients!

Et elle ajouta :

  • Le personnel n’est pas sympathique avec nous les Français alors qu’ils sont aux petits oignons avec les Allemands !

Elle ne put s’empêcher de rajouter :

  • Alors qu’on sait très bien qu’en Allemagne, ils ne peuvent pas les sentir les Turcs, avec un petit air outré, soi-disant, zarma!

Ca y est, la tension était remonté et donc direct, la réponse cingla :

  • Un peu comme les Français quand ils vont au Maroc ou en Tunisie ! Les Arabes, on les aime bien quand ils sont chez eux, par contre quand ils sont chez nous, on ne peut pas les saquer ! Alors, votre pétition, vous savez ce que vous pouvez en faire, et salam aleikum !!

Cela lui avait cloué le bec, et elle était repartie limite indignée avec son mari aux fesses, qui lui étrangement avait un sourire discret comme s’il était content que sa chère ait été renvoyée dans ses pâquerettes ! C’est sûr que l’image des Rebeus en France n’allait pas s’améliorer auprès de cette caricature de française, mais tout de même, la solidarité nationale ne doit pas forcément s’appliquer lorsqu’il s’agit de bêtise et de stupidité. En tous cas, malgré sa gêne même Cécilia avait apprécié la remise en place.

  • Tu as bien fait, on chou, nous on est venu pour se détendre ! Il y en a qui ne peuvent pas vivre sans conflit même en vacances : les râleurs nationaux ! Car quand elle parle de taches sur les nappes, en fait ce ne sont que des auréoles qui restent car ici, ils utilisent des lessives beaucoup moins puissantes et donc moins nocives que chez nous, en Europe !
  • De toute façon, ce n’est pas à moi qu’elle va la faire à l’envers, son histoire de racistes !!

A part ce petit accroc, tout se déroulait bien dans le club. Après quelques jours de détente, les vacanciers étaient plus disponibles pour des relations conviviales.

Moi-même, j’oubliais mes pensées agressives dans cette atmosphère iodée et chlorée, entre mer et piscine, et j’étais donc à même de renouer la communication avec autrui. D’autant plus que parmi ces touristes français, une majorité arborait les nouvelles couleurs nationales : des blacks, des beurs et des blancs, même une noiche, et tout ce petit monde vivait en groupe mélangé et en bonne entente.

En fin d’après-midi, sur un petit terrain de foot en sable situé en bordure de plage, j’avais commencé à prendre mes habitudes et je participais au match du jour.

Pour faire les équipes, la solution la plus simple, prise à l’unanimité, avait été de choisir par nationalité, et une fois de plus je me suis retrouvé dans un groupe à défendre l’honneur de la France, notre mère-patrie ! Coquin de sort quand tu t’acharnes ! Du reste, notre équipe était à l’image de nos équipes nationales de sports collectifs, mélangée et mixée.

Soit on jouait contre les Allemands, soit contre les Turcs employés dans l’hôtel, les Italiens n’étant pas au niveau, pour une fois !! En tous cas, on défendait avec acharnement notre fierté et nos valeurs, avec nos qualités et nos défaut, notre envie de beau jeu associé à notre manque d’opportunisme, notre esprit de justice directement puisé dans nos droits de l’homme en opposition avec la mauvaise foi de nos râleurs nationaux.

Le résultat de ce cocktail proposé était plutôt de bonne facture et de ce fait après ces matchs internationaux, on se retrouvait avant le repas pour prendre l’apéro ensemble, partenaires et adversaires… Le résultat de ces matchs était que les résidents de l’hôtel se fréquentaient et permettait ainsi de créer une bonne ambiance. Car les premiers échanges passés concernant le football, on peut s’aventurer sur des sujets moins terre à terre, ou plutôt terre à pelouse ! Le foot est un excellent moyen pour entrer en communication dans un premier temps.

C’est ainsi qu’après quelques jours, le groupe France s’était formé et qu’il formait le noyau de cette communauté hexagonale, cela se remarquant surtout lors des animations organisées dans le club. Le lien qui s’était tissé d’abord sur la langue nationale commune, avait ensuite engendré de petites cellules de personnes réunies plus par affinités culturelles, politiques, sportives ou autres…

J’avais une nouvelle fois été bluffé par cette situation, moi qui voulait fuir mon pays de résidence et m’y retrouvant irrémédiablement projeté, aimanté par cette communauté nationale en exil et qui me ressemblait tant ! Tous mes efforts pour m’éloigner du rivage me ramenaient invariablement au Pays, à contre courants de mes réflexions et de mes envies ! Presque à croire que j’étais Français, envie, pas envie, content, pas content, kif-kif!!

  • Aujourd’hui pour le diner, le thème de la soirée est Rome et il faut se déguiser remarqua Cécilia ! Les femmes de ménages ont laissé des espèces de draps pour en faire des toges !
  • Même pas pour rire, j’ai horreur de ce type d’animation !
  • Tu vas pas encore faire ton râleur, comme tes compatriotes, se moqua-t-elle ! De toute façon, c’est obligatoire si tu veux manger, et en plus on va bien se marrer !

En fin d’après-midi ce jour-là, lors de notre match quotidien, les footballeurs avec qui je jouaient, eux-aussi n’étaient pas enchantés à l’idée de devoir se déguiser en Romains ! Et pourtant, après l’apéro au bar, quand nous nous rendîmes au dîner, toutes les entrées menant au repas avaient été bloquées. Des employés turcs distribuaient des tissus et des toges, aidant même les vacanciers à les porter, pour les faire ressembler aux habitants de Rome. C’était là, le sésame pour pouvoir aller se restaurer.

On s’était installé à une grande tablée avec mes partenaires du football quand le dernier convive, Moktar arriva, affublé de sa toge blanche et portant sa casquette de rappeur, avec la visière de côté.

  • Ave Moktarus, l’interpella un de ses potes en se moquant, vient manger du sanglier, du rellouf sauvage !!
  • Oh lala, Les Turcs, ils m’ont pris pour un Romain, alors que moi je suis Gaulois !!

C’était dit avec un tel accent typique de la jeunesse de banlieue et avec une telle candeur que tout l’entourage se tordit de rire. Moi-même, après la rigolade, ça m’avait laissé songeur. Peut-être avait-il raison ? Est-ce qu’après-tout, on n’était pas un peu Français ? Et c’était quoi être Français ? Etait-ce par rapport à soi-même, ou bien était-ce dans le regard de l’autre ? Pendant longtemps, je m’étais contenté de me situer par rapport à l’avis des autochtones : me voyait-il comme un des leurs ? Les Turcs me prenaient pour un Français, les Allemands du club me traitaient en tant que Français, même tous ces Gaulois de la nouvelle génération m’avaient intégré dans la nation hexagonale…

En quelques jours je m’étais aperçu que la première des choses, était mon avis ! J’avais pu voir qu’en fonction des personnes en face de moi, elles avaient toutes un regard et donc une pensée différente à mon égard. C’est pourquoi, en cet instant, j’ai pensé que le plus important était mon regard sur moi-même : est-que je me sens Français ou bien le contraire ? A priori, au niveau de ma vie, je leur ressemblais plutôt : j’aimais la baguette et le fromage, au lieu du béret j’avais adopté la casquette mais eux-aussi, j’avais les mêmes références culturelles étant allé à l’école de la république. Plus de choses nous rassemblaient que nous séparaient ! J’avais été formé dans le creuset national, mon mode de vie était typiquement français et ça j’avais pu m’en apercevoir en allant au bled, le pays de mes vieux ! J’aimais bien m’y rendre pour les vacances, c’était exotique mais de là à y vivre, il ne faut pas confondre tourisme et immigration !!

En fait, ce petit séjour qui se terminait, avait été plein d’enseignement ; il avait fallu que je m’éloigne pour mieux me recentrer sur l’objectif, un peu comme si le point de vue avait été déplacé. Partir pour mieux revenir, tel est le destin des voyageurs, qui souvent sont plus ouverts aux idées car ils voient des choses et des situations différentes. Me retrouver en Turquie pour bien sentir comme la France me manquait !